Le code fait loi – De la liberté dans le cyberespace Code is Law – On Liberty in Cyberspace

Le code fait loi – De la liberté dans le cyberespace
Code is Law – On Liberty in Cyberspace

Lawrence Lessig – janvier 2000 – Harvard Magazine
(Traduction Framalang : Barbidule, Siltaar, Goofy, Don Rico)

À chaque époque son institution de contrôle, sa menace pour les libertés. Nos Pères Fondateurs craignaient la puissance émergente du gouvernement fédéral ; la constitution américaine fut écrite pour répondre à cette crainte. John Stuart Mill s’inquiétait du contrôle par les normes sociales dans l’Angleterre du 19e siècle ; il écrivit son livre De la Liberté en réaction à ce contrôle. Au 20e siècle, de nombreux progressistes se sont émus des injustices du marché. En réponse furent élaborés réformes du marché, et filets de sécurité.

Nous sommes à l’âge du cyberespace. Il possède lui aussi son propre régulateur, qui lui aussi menace les libertés. Mais, qu’il s’agisse d’une autorisation qu’il nous concède ou d’une conquête qu’on lui arrache, nous sommes tellement obnubilés par l’idée que la liberté est intimement liée à celle de gouvernement que nous ne voyons pas la régulation qui s’opère dans ce nouvel espace, ni la menace qu’elle fait peser sur les libertés.

Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.

Cette régulation est en train de changer. Le code du cyberespace aussi. Et à mesure que ce code change, il en va de même pour la nature du cyberespace. Le cyberespace est un lieu qui protège l’anonymat, la liberté d’expression et l’autonomie des individus, il est en train de devenir un lieu qui rend l’anonymat plus difficile, l’expression moins libre et fait de l’autonomie individuelle l’apanage des seuls experts.

Mon objectif, dans ce court article, est de faire comprendre cette régulation, et de montrer en quoi elle est en train de changer. Car si nous ne comprenons pas en quoi le cyberespace peut intégrer, ou supplanter, certaines valeurs de nos traditions constitutionnelles, nous perdrons le contrôle de ces valeurs. La loi du cyberespace – le code – les supplantera.

Ce que contrôle le code
Le code élémentaire d’Internet est constitué d’un ensemble de protocoles appelé TCP/IP. Ces protocoles permettent l’échange de données entre réseaux interconnectés. Ces échanges se produisent sans que les réseaux aient connaissance du contenu des données, et sans qu’ils sachent qui est réellement l’expéditeur de tel ou tel bloc de données. Ce code est donc neutre à l’égard des données, et ignore tout de l’utilisateur.

Ces spécificités du TCP/IP ont des conséquences sur la régulabilité des activités sur Internet. Elles rendent la régulation des comportements difficile. Dans la mesure où il est difficile d’identifier les internautes, il devient très difficile d’associer un comportement à un individu particulier. Et dans la mesure où il est difficile d’identifier le type de données qui sont envoyées, il devient très difficile de réguler l’échange d’un certain type de données. Ces spécificités de l’architecture d’Internet signifient que les gouvernements sont relativement restreints dans leur capacité à réguler les activités sur le Net.

Dans certains contextes, et pour certaines personnes, cette irrégulabilité est un bienfait. C’est cette caractéristique du Net, par exemple, qui protège la liberté d’expression. Elle code l’équivalent d’un Premier amendement dans l’architecture même du cyberespace, car elle complique, pour un gouvernement ou une institution puissante, la possibilité de surveiller qui dit quoi et quand. Des informations en provenance de Bosnie ou du Timor Oriental peuvent circuler librement d’un bout à l’autre de la planète car le Net empêche les gouvernements de ces pays de contrôler la manière dont circule l’information. Le Net les en empêche du fait de son architecture même.

Mais dans d’autres contextes, et du point de vue d’autres personnes, ce caractère incontrôlable n’est pas une qualité. Prenez par exemple le gouvernement allemand, confronté aux discours nazis, ou le gouvernement américain, face à la pédo-pornographie. Dans ces situations, l’architecture empêche également tout contrôle, mais ici cette irrégulabilité est considérée comme une tare.

Et il ne s’agit pas seulement des discours nazis et de pornographie enfantine. Les principaux besoins de régulation concerneront le commerce en ligne : quand l’architecture ne permet pas de transactions sécurisées, quand elle permet de masquer facilement la source d’interférences, quand elle facilite la distribution de copies illégales de logiciels ou de musique. Dans ces contextes, le caractère incontrôlable du Net n’est pas considéré comme une qualité par les commerçants, et freinera le développement du commerce.

Que peut-on y faire ?

Nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’y a rien à faire : l’irrégulabilité d’Internet est définitive. Il n’est rien que nous puissions faire pour y remédier. Aussi longtemps qu’il existera, Internet restera un espace incontrôlable. C’est dans sa nature même.

Mais rien n’est plus dangereux pour l’avenir de la liberté dans le cyberespace que de croire la liberté garantie par le code. Car le code n’est pas figé. L’architecture du cyberespace n’est pas définitive. L’irrégulabilité est une conséquence du code, mais le code peut changer. D’autres architectures peuvent être superposées aux protocoles de base TCP/IP, et ces nouvelles couches peuvent rendre l’usage du Net fondamentalement contrôlable. Le commerce est en train de construire une architecture de ce type. Le gouvernement peut y aider. Les deux réunis peuvent transformer la nature même du Net. Il le peuvent, et le font.

D’autres architectures
Ce qui rend le Net incontrôlable, c’est qu’il est difficile d’y savoir qui est qui, et difficile de connaître la nature des informations qui y sont échangées. Ces deux caractéristiques sont en train de changer : premièrement, on voit émerger des architectures destinées à faciliter l’identification de l’utilisateur, ou permettant, plus généralement, de garantir la véracité de certaines informations le concernant (qu’il est majeur, que c’est un homme, qu’il est américain, qu’il est avocat). Deuxièmement, des architectures permettant de qualifier les contenus (pornographie, discours violent, discours raciste, discours politique) ont été conçues, et sont déployées en ce moment-même. Ces deux évolutions sont développées sans mandat du gouvernement ; et utilisées conjointement elles mèneraient à un degré de contrôle extraordinaire sur toute activité en ligne. Conjointement, elles pourraient renverser l’irrégulabilité du Net.

Tout dépendrait de la manière dont elles seraient conçues. Les architectures ne sont pas binaires. Il ne s’agit pas juste de choisir entre développer une architecture permettant l’identification ou l’évaluation, ou non. Ce que permet une architecture, et la manière dont elle limite les contrôles, sont des choix. Et en fonction de ces choix, c’est bien plus que la régulabilité qui est en jeu.

Prenons tout d’abord les architectures d’identification, ou de certification. Il existe de nombreuses architectures de certification dans le monde réel. Le permis de conduire, par exemple. Lorsque la police vous arrête et vous demande vos papiers, ils demandent un certificat montrant que vous êtes autorisé à conduire. Ce certificat contient votre nom, votre sexe, votre âge, votre domicile. Toutes ces informations sont nécessaires car il n’existe aucun autre moyen simple pour établir un lien entre le permis et la personne. Vous devez divulguer ces éléments vous concernant afin de certifier que vous êtes le titulaire légitime du permis.

Mais dans le cyberespace, la certification pourrait être ajustée beaucoup plus finement. Si un site est réservé aux adultes, il serait possible – en utilisant des technologies de certification – de certifier que vous êtes un adulte, sans avoir à révéler qui vous êtes ou d’où vous venez. La technologie pourrait permettre de certifier certains faits vous concernant, tout en gardant d’autres faits confidentiels. La technologie dans le cyberespace pourrait fonctionner selon une logique de « moindre révélation », ce qui n’est pas possible dans la réalité.

Là encore, tout dépendrait de la manière dont elle a été conçue. Mais il n’est pas dit que les choses iront dans ce sens. Il existe d’autres architectures en développement, de type « une seule carte pour tout ». Dans ces architectures, il n’est plus possible de limiter simplement ce qui est révélé par un certificat. Si sur un certificat figure votre nom, votre adresse, votre âge, votre nationalité, ainsi que le fait que vous êtes avocat, et si devez prouver que vous êtes avocat, cette architecture certifierait non seulement votre profession, mais également tous les autres éléments vous concernant qui sont contenus dans le certificat. Dans la logique de cette architecture, plus il y a d’informations, mieux c’est. Rien ne permet aux individus de faire le choix du moins.

La différence entre ces deux conceptions est que l’une garantit la vie privée, alors que l’autre non. La première inscrit le respect de la vie privée au cœur de l’architecture d’identification, en laissant un choix clair à l’utilisateur sur ce qu’il veut révéler ; la seconde néglige cette valeur.

Ainsi, le fait que l’architecture de certification qui se construit respecte ou non la vie privée dépend des choix de ceux qui codent. Leurs choix dépendent des incitations qu’ils reçoivent. S’il n’existe aucune incitation à protéger la vie privée – si la demande n’existe pas sur le marché, et que la loi est muette – alors le code ne le fera pas.

L’identification n’est qu’un exemple parmi d’autres. Prenons-en un deuxième, concernant la confidentialité des informations personnelles. RealJukebox est une technologie permettant de copier un CD de musique sur un ordinateur, ou de de télécharger de la musique sur le Net pour la stocker sur un disque dur. Il est apparu en octobre que le système était un peu trop curieux : il inspectait discrètement le disque dur de l’utilisateur, puis transférait à l’entreprise le fruit de ses recherches. Tout ceci en secret, bien entendu : RealNetworks n’avait prévenu personne que son produit collectait et transférait des données personnelles. Quand cet espionnage a été découvert, l’entreprise a tout d’abord tenté de justifier cette pratique (en avançant qu’aucune donnée personnelle n’était conservée), mais elle a fini par revenir à la raison, et a promis de ne plus recueillir ces données.

Ce problème est dû, une fois de plus, à l’architecture. Il n’est pas facile de dire qui espionne quoi, dans le cyberespace. Bien que le problème puisse être corrigé au niveau de l’architecture (en faisant appel à la technologie P3P, par exemple), voici un cas pour lequel la loi est préférable. Si les données personnelles étaient reconnues comme propriété de l’individu, alors leur collecte sans consentement exprès s’apparenterait à du vol.

Dans toutes ces circonstances, les architectures viendront garantir nos valeurs traditionnelles – ou pas. À chaque fois, des décisions seront prises afin de parvenir à une architecture d’Internet respectueuse de ces valeurs et conforme à la loi. Les choix concernant le code et le droit sont des choix de valeurs.

Une question de valeurs
Si c’est le code qui détermine nos valeurs, ne devons-nous pas intervenir dans le choix de ce code ? Devons-nous nous préoccuper de la manière dont les valeurs émergent ici ?

En d’autres temps, cette question aurait semblé incongrue. La démocratie consiste à surveiller et altérer les pouvoirs qui affectent nos valeurs fondamentales, ou comme je le disais au début, les contrôles qui affectent la liberté. En d’autres temps, nous aurions dit « Bien sûr que cela nous concerne. Bien sûr que nous avons un rôle à jouer. »

Mais nous vivons à une époque de scepticisme à l’égard de la démocratie. Notre époque est obsédée par la non-intervention. Laissons Internet se développer comme les codeurs l’entendent, voilà l’opinion générale. Laissons l’État en dehors de ça.

Ce point de vue est compréhensible, vu la nature des interventions étatiques. Vu leurs défauts, il semble préférable d’écarter purement et simplement l’État. Mais c’est une tentation dangereuse, en particulier aujourd’hui.

Ce n’est pas entre régulation et absence de régulation que nous avons à choisir. Le code régule. Il implémente – ou non – un certain nombre de valeurs. Il garantit certaines libertés, ou les empêche. Il protège la vie privée, ou promeut la surveillance. Des gens décident comment le code va se comporter. Des gens l’écrivent. La question n’est donc pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle dans leur choix – et donc dans la manière dont ces valeurs sont garanties – ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à notre place.

Car c’est une évidence : quand l’État se retire, la place ne reste pas vide. Les intérêts privés ont des objectifs qu’ils vont poursuivre. En appuyant sur le bouton anti-Étatique, on ne se téléporte pas au Paradis. Quand les intérêts gouvernementaux sont écartés, d’autres intérêts les remplacent. Les connaissons-nous ? Sommes-nous sûrs qu’ils sont meilleurs ?

Notre première réaction devrait être l’hésitation. Il est opportun de commencer par laisser le marché se développer. Mais, tout comme la Constitution contrôle et limite l’action du Congrès, les valeurs constitutionnelles devraient contrôler et limiter l’action du marché. Nous devrions examiner l’architecture du cyberespace de la même manière que nous examinons le fonctionnement de nos institutions.

Si nous ne le faisons pas, ou si nous n’apprenons pas à le faire, la pertinence de notre tradition constitutionnelle va décliner. Tout comme notre engagement autour de valeurs fondamentales, par le biais d’une constitution promulguée en pleine conscience. Nous resterons aveugles à la menace que notre époque fait peser sur les libertés et les valeurs dont nous avons hérité. La loi du cyberespace dépendra de la manière dont il est codé, mais nous aurons perdu tout rôle dans le choix de cette loi.

Lawrence Lessig est professeur de droit des affaires au Centre Berkman de la Harvard Law School. Son dernier livre, « Le code, et les autres lois du cyberespace » (Basic Books), vient d’être publié (voir http://code-is-law.org). Le site du Centre Berkman pour l’Internet et la Société est http://cyber.law.harvard.edu.

Notes

E-santé : comment bien choisir votre plate-forme de téléconsultation sur 01 net Marion Simon-Rainaud

La téléconsultation fête sa première année de remboursement par la sécurité sociale. Voici un comparatif -non-exhaustif- des solutions proposées pour éviter les arnaques et les charlatans.
Le 15 septembre 2019 a marqué le premier anniversaire du remboursement de la téléconsultation. Après un an, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) a remboursé plus de 60 000 consultations à distance partout en France. Même si le chiffre est bien loin de l’objectif de 500 000 fixé par le gouvernement en 2018, le rythme s’accélère. Depuis janvier 2019, le nombre de téléconsultations a été multiplié par cinq. Et pour le seul mois d’août, ce sont 10 000 téléconsultations qui ont été recensées. Les patients augmentent, certes, mais cette pratique reste encore assez confidentielle. En janvier 2019, 87% des Français déclaraient avoir déjà entendu parler de téléconsultation. Mais seuls 37% estimaient qu’ils sont globalement bien informés sur le sujet.

Pour rappel, la téléconsultation est « une consultation réalisée à distance au cours de laquelle un patient et un médecin (généraliste ou spécialiste) se parlent et se voient par vidéo transmission » selon la Cnam. Lors de la consultation, le patient peut être -ou non- accompagné par un autre personnel de santé (infirmier, pharmacien, etc.). Les tarifs suivent la grille des rendez-vous en face-à-face (de 23 € à 58,50 €). Le remboursement est régi par des règles strictes établies par l’avenant 6 de la convention signée par la Cnam (2016). Il faut au préalable avoir déjà eu un rendez-vous physique avec le médecin au cours des douze derniers mois, que la téléconsultation respecte le « parcours de soin » comme une consultation classique et que les moyens techniques utilisés soient sécurisés.

« C’est le patient qui a la responsabilité du choix de la solution de la téléconsultation », explique Annelore Coury, directrice déléguée à la gestion et l’organisation des soins de la Cnam. « Aucune labélisation officielle n’existe concernant les plates-formes de téléconsultation. Nous vérifions a posteriori si elles remplissent les conditions établies par la loi ».

Surfant sur la vague, de nombreuses offres fleurissent sur le Net. Dans la jungle des sites spécialisés, il est parfois difficile de s’y retrouver. Pour y voir plus clair, nous avons testé cinq solutions de téléconsultation : Doctolib, Consulib, Livi, Qare et Télémedical. Nous vous livrons ici notre diagnostic sur cette nouvelle pratique médicale qui a le vent en poupe.

 

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Le leader incontesté : Doctolib
« 2 téléconsultations sur 3 ont été réalisées sur Doctolib. » Le chiffre revendiqué par la licorne française signifie que 40 000 des 60 000 téléconsultations remboursées se sont déroulées via leur plate-forme. Ce volume a d’abord été permis par les 1 500 médecins qui utilisent cette interface, mais aussi grâce à sa popularité chez les patients et son omniprésence dans le secteur de la e-santé. L’entreprise a simplement ajouté cette option à leur palette déjà bien rodée à la prise de rendez-vous. Le service de téléconsultation est disponible à la fois sur ordinateur, smartphone et tablette. L’initiative vient du patient.
Avantage : l’option de vidéo-consultation n’apparaît que si et seulement si vous avez déjà consulté avec le médecin en question. Ce système de filtrage permet d’assurer le remboursement de la consultation à distance et donc d’éviter les mauvaises surprises.

01net.com – Sur l’appli Doctolib, un médecins que vous avez déjà consulté peut vous proposer une consultation par vidéo.

 
La plus commerciale : Livi
Fondée en 2015, la plate-forme suédoise appartenant au groupe Kry s’est implantée en France il y a un an. Livi s’est surtout fait connaître parce qu’elle a perdu une bataille juridique entamée face à la Sécu. Depuis janvier 2019, la Cnam a arrêté de rembourser les téléconsultations réalisées via cette plate-forme pour non-conformité à l’avenant 6. C’est pourquoi, sur les plus de 33.000 téléconsultations revendiquées par l’entreprise suédoise, seulement 10 à 15% ont fait l’objet d’un remboursement. Elles correspondent aux téléconsultations réalisées dans le centre de soin de Créteil. Dans le reste de la France, ce sont une quarantaine de médecins généralistes qui ont adopté cette plate-forme. Avant de prendre rendez-vous, il faut faire particulièrement attention, puisqu’il n’y a pas de filtre. Vous serez néanmoins avertis que la téléconsultation sera à vos frais. L’initiative vient du patient.
À noter : Livi n’est disponible que sur mobile (Android et iOS).

 

 

La plus sécurisante : Consulib
Cette plate-forme « pensée par des médecins pour des médecins », comme aime à le rappeler le Dr Dagher, chirurgien et fondateur du site, permet elle-aussi à la fois la prise de rendez-vous, la téléconsultation et le partage de document des « tiroirs » plutôt très complets -une sorte de Dossier médical partagé (DMP) maison. La téléconsultation est à l’initiative de l’un des 400 médecins qui utilisent ce service. Résultat : plus de 90% des actes sont remboursées par l’Assurance maladie. L’initiative est à la charge du médecin.
Avantage : grâce à une fonction de sécurisation des données, il est possible de décider si on veut partager ou non ses données avec le docteur. Il faut simplement cliquer sur le cadenas.
Inconvénient : il n’existe pas d’application. Sur le site, le service de vidéo fonctionne seulement sur Chrome -à moins de télécharger une extension sur les autres navigateurs.

 

 

La plus diversifiée : Qare
La plate-forme auto-proclamée « numéro 1 de la télémédecine » dénombre 40 000 téléconsultations depuis un an. Mais la majorité n’ont pas été remboursées. Qare revendique une centaine de praticiens actifs par jour, sans communiquer de nombre exact sur le nombre de médecins utilisateurs.
L’espace échange médecin-patient est complet. Parmi les solutions testées, c’est la seule qui propose au patient un système d’identification à double vérification (adresse mail + code envoyé par sms). L’initiative vient du patient.
Avantage : sur Qare, vous pouvez prendre également rendez-vous avec d’autres professionnels de santé que des médecins (sage-femme, kiné, psychologue, etc.).
Inconvénient : si remboursement il y a, il se fait avec une feuille de soins physique à remplir et non pas directement avec la carte vitale.

Qare – La majorité des téléconsultations ne sont pas remboursées sur Qare.
Un cas à part : Télémedical
La dernière solution que nous avons testée diffère structurellement des quatre autres. Télémedical est l’une des huit organisations territoriales reconnues par la Cnam qui proposent des services en téléconsultation dans des locaux « en dur ». Cette solution a vocation à couvrir le Grand Est, et non à se généraliser dans toute la France. Télémedical est déployée pour l’instant dans huit salles régionales, dont plusieurs télécabines. Ces téléconsultations s’effectuent à l’aide de professionnels de santé et sont uniquement à l’initiative du médecin.

Cette solution a été fondée par deux urgentistes de l’hôpital de Troyes, dans l’Aube, pour décongestionner les urgences dans lesquelles ils travaillent. À partir de l’ouverture du centre en décembre 2018, les téléconsultations n’ont fait qu’affluer. Le Dr Goudour, un des fondateurs estiment que 1 600 téléconsultations ont été réalisées en seulement un mois. De fait, avec cette solution toutes les consultations sont remboursées. L’initiative ne peut venir du patient, elle est forcément initiée par le médecin.

Bien se préparer
« Le passage à la téléconsultation est nécessaire, estime le Dr Goudour. Sinon, nous, les médecins, nous allons être remplacés par des « médecins de plates-formes » travaillant pour des sites dont l’objectif n’est que marchand. »

Selon l’urgentiste, l’enjeu est crucial. Patients comme médecins, il faut savoir distinguer les différentes offres pour ne pas tomber dans l’ubérisation de la santé. D’autant que la téléconsultation va se généraliser. Selon la dernière étude de la Mutuelle d’assurance des professionnels de la santé (MACSF) publiée en 2018, 73% soit 3 sur 4 des médecins estiment que la télémédecine fera partie de leur quotidien en 2030.

Marion Simon-Rainaud

e-santé : une opportunité pour les acteurs traditionnels du secteur paru dans prisme 

Le marché de l’e-santé est en forte croissance. Son développement exponentiel représente une manne pour les industriels du secteur de la santé. Toutefois, il parait déterminant d’allier la prévention, l’éducation du patient, le suivi du traitement et son évaluation à long terme.

Télémédecine, soins digitalisés, suivi à distance, santé connectée… L’e-santé désigne l’ensemble des domaines où les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont mises au service de la santé humaine.

Un marché en nette progression

Le marché Français de l’e-santé devrait atteindre 3,5 à 4 milliards d’euros d’ici 2020 (source : Les marchés de l’e-santé à l’horizon 2020, Étude Precepta/Xerfi, octobre 2014). Par rapport au secteur de la santé qui représente dans son ensemble 329 milliards d’euros par an de production directe, d’après Solutys, ce montant est relativement modeste. Néanmoins, le taux de croissance attendu entre 4 et 7% d’ici 2020 est plusieurs fois supérieur à celui du PIB. Cette progression est d’abord tirée par le déferlement des objets de santé/bien-être connectés tels que les bracelets mesurant l’activité physique, balances, dispositifs de suivi du sommeil…

Le dossier médical partagé

Les pouvoirs publics jouent également un rôle dans le développement de l’e-santé en tant que maîtres d’ouvrage des systèmes d’information dans les secteurs de la santé et du médico-social. Non sans difficultés comme le montrent les aléas du Dossier Médical Partagé (DMP), projet étendard de l’e-santé depuis sa création par la loi pour l’assurance maladie de 2004.

Ce DMP « version 2 » suscite un nouvel espoir de voir aboutir un support de partage des informations de santé pour chaque citoyen, mais son déploiement reste très graduel. Le gouvernement cherche aussi à favoriser l’émergence de champions français portant des projets de technologies numériques en santé au travers notamment des investissements d’avenir en économie numérique et de la French Tech.

62% des médecins ont déjà prescrit un équipement de santé connecté

Des mutations profondes à opérer

Compte tenu des barrières scientifiques et règlementaires, la santé n’est pas un marché aussi facile à « ubériser » que la musique ou le commerce de détail. Pur produit de la Silicon Valley, la start-up Theranos a échoué à révolutionner le marché des analyses de sang. Google connaît aussi des déconvenues avec son projet de lentilles de contact supposées suivre la glycémie des patients diabétiques, annoncé en 2014 et toujours pas abouti. Le savoir-faire numérique ne suffit pas à lui seul, ce qui laisse aux industriels de la santé un champ de développement considérable…

Certes, les acteurs traditionnels doivent désormais opérer une profonde mutation pour s’approprier les possibilités qu’offre l’e-santé. Ainsi, les laboratoires pharmaceutiques ne pourront plus se contenter d’un rôle de « vendeurs de pilules », aussi innovants que soient les traitements qu’ils commercialisent.

L’enjeu de l’e-santé est de se rapprocher encore plus du patient en inscrivant l’offre thérapeutique dans une démarche allant de la prévention et l’éducation du patient jusqu’au suivi du traitement et à l’évaluation des retombées à long terme. Sanofi, un des leaders mondiaux des traitements du diabète, le démontre dans le cadre de sa collaboration avec le Certitd, une association de diabétologues, et l’éditeur Voluntis autour du projet de pancréas artificiel Diabeloop.

Le numérique offre, par ailleurs, un gisement non négligeable d’économies aux industriels. La solution d’Inato, par exemple, permet aux laboratoires d’importants gains d’efficacité dans la préparation des essais cliniques, un des principaux postes de dépenses dans le secteur.

Réussir le virage de la santé numérique: 6 acteurs incontournables. Par Cathy Bazinet | 27 juin 2017 | Santé numérique |

Santé connectée, e-santé, m-santé, télésanté, télémédecine… Révolution numérique oblige, la terminologie médicale s’enrichit de nouveaux vocables pour désigner ces réalités -ou potentialités- qu’apportent l’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le secteur de santé.

Il est encore difficile, à ce jour, d’établir une cartographie sémantique précise de ce que recouvrent ces différents termes, ce qui peut créer une certaine confusion. Pour les besoins de cet article, nous utiliserons «santé numérique», tel que défini par Inforoute Santé Canada :

 « La santé numérique désigne l’utilisation d’outils, de services et de méthodes électroniques et informatiques pour assurer la prestation des services de santé ou pour simplement favoriser une meilleure santé. » (1)


En apparence simple, cette prémisse soulève toutefois des enjeux complexes et nécessite, pour son déploiement, de mobiliser de multiples acteurs pour en garantir le succès. En effet, située au confluent d’une triple transformation (CNOM, 2015), la santé numérique repose sur des changements d’ordre :

sociologique, qui s’incarnent notamment par l’empowerment du patient;

technologique (croissance exponentielle d’innovations tels que capteurs, objets connectés, appareils mobiles intelligents);

politico-économique, essentiellement centrés sur la recherche de solutions pour optimiser la qualité et l’efficience des systèmes de santé.

Dans ce contexte, on peut donc s’attendre à ce que les besoins, attentes et objectifs visés par l’implantation de la santé numérique varient selon les perspectives de différents acteurs clé tels que, en tout premier lieu, patients et soignants, mais également décideurs, assureurs, investisseurs et hôpitaux/réseaux de santé.

Les professionnels de santé

Améliorer la qualité des soins et l’efficience des processus sont des avantages souvent identifiés par les cliniciens (Maley et Slovesnsky, 2014), ainsi que la possibilité de traiter les données recueillies pour améliorer la prise de décision clinique (Martinez, 2012). Toutefois, le manque d’études scientifiques et médicales pour valider la précision, l’efficacité et la pertinence des applications mobiles et dispositifs de santé connectés sont tous autant de freins à leur adoption. En outre, certains soignants craignent d’être submergés de données et incapables d’en tirer des informations utiles ou appropriées (Maley et Slovesnsky, 2014).

La question de la littératie numérique doit aussi être soulevée, il faut admettre que les soignants n’ont pas tous développé des aptitudes ou un niveau d’aisance suffisant dans l’utilisation des nouvelles technologies pour être en mesure d’accompagner des patients qui souhaiteraient s’engager dans cette avenue.

Enfin, la potentielle déshumanisation des soins évoquée par des soignants relativement au déploiement de la santé numérique est l’occasion de remettre en avant-scène que le savoir-être, les qualités d’écoute et d’empathie doivent demeurer au cœur de la relation avec le patient, peu importe si les consultations se déroulent en face-à-face où à distance.

Les décideurs politiques

L’encadrement législatif est essentiel au bon développement de la santé numérique, afin de s’assurer notamment que le traitement des données soit approprié et consenti de manière éclairée par le consommateur, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement.

En outre, il est nécessaire de se pencher sur la régulation rapidement; sans mécanismes de certification, les patients, soignants et la population générale peuvent être induits en erreur quant aux allégations de santé et de bien-être d’applications mobiles et de dispositifs connectés des entreprises privées, qui peuvent s’avérer sans fondements scientifiques. Ces certifications seront-elles fixées par des autorités publiques et, le cas échéant, lesquelles? L’expérience des États-Unis et de la France démontrent la complexité et l’ampleur d’un tel mandat, auxquelles les ressources humaines et organisationnelles ne suffisent pas à la tâche.

Pour atteindre leurs objectifs de réduction des coûts et d’amélioration de l’accès et de la qualité des soins, les décideurs politiques doivent assurer un encadrement rigoureux des dispositifs de santé numérique et de leurs usages.

Les assureurs

Les assureurs souhaitent aussi être guidés dans l’élaboration de modèles de remboursement qui mobilisent des soins à distance (Maley et Slovensky, 2014). Par exemple, les compagnies d’assurances pourraient être intéressées à rembourser un dispositif connecté qui permet un meilleur contrôle de la glycémie, si son usage est associé à moins de réclamations. Le remboursement de tels dispositifs favoriserait en corollaire l’accessibilité aux dispositifs connectés, sans que le patient n’ait à débourser pour les utiliser.

Là où le bât blesse, c’est la perception du public à l’effet qu’il sera possible de communiquer de l’information susceptible de porter atteinte à la vie privée des assurés et leur porter préjudice, et de ne pas rembourser les patients qui ne seraient pas compliants ou observants, par exemple. Enfin, il est essentiel d’envisager comment mobiliser ces acteurs de manière positive et constructive dans le parcours de soin, puisqu’ils en font déjà partie.

Les investisseurs

Dans les canaux de distribution classiques, personne ou presque ne vérifie les allégations fausses ou prétendues de santé, l’efficacité, la précision, l’utilité ou encore ne prévient de mauvaises utilisations et de contre-indications liés aux applications mobiles ou dispositifs connectés. En outre, ils ne font l’objet d’un suivi que s’ils sont qualifiés de dispositifs médicaux.

Dans ce contexte, beaucoup de fabricants ne font pas de demandes pour obtenir ce statut, ce qui les obligeraient à entreprendre des démarches longues et coûteuses, et préfèrent demeurer confortablement à cheval sur la frontière floue de l’usage dit de «bien-être» (ou de divertissement – for recreational use only) et une application réellement médicale. On peut se questionner, comme le soulignait avec ironie le rédacteur en chef du iMedicaApps, une revue indépendante s’adressant aux professionnels, quelle est la part du divertissement dans une application de calculatrice médicale qui vous aide à évaluer la nécrose tubulaire aigüe d’un patient (CNOM, 2015)…

Il est donc primordial de sensibiliser les consommateurs sur les réglementations et les garanties qu’ils sont en droit d’attendre en utilisant ces applications ou dispositifs et d’encourager les fabricants et les développeurs à effectuer une meilleure gestion des données de leurs clients.

Les hôpitaux/réseaux de santé

Les hôpitaux et, plus largement les réseaux de santé, souhaitent accompagner les patients dans une démarche d’appropriation et de gestions de leurs propres soins.

Le virage numérique est séduisant en termes de réduction de coûts, mais il faut cependant conserver un système parallèle de dossiers papiers, de prises de rendez-vous par téléphone, etc. La mise en place de systèmes informatiques dans les réseaux de santé implique également un investissement plus important en termes de sécurité des données, dont l’ampleur n’est pas toujours bien évaluée au moment de l’implantation, comme il a été possible de le constater avec la récente cyberattaque Wannacry où les pirates informatiques ont exigé des rançons aux hôpitaux pour récupérer leurs données, mettant potentiellement en danger des patients en attente de chirurgies.

En conclusion

Le virage de la santé numérique pose de nombreux défis et invite à une réflexion collective sur

les enjeux qu’il soulève, sans tomber dans un déterminisme technologique. Il est essentiel de conserver à l’esprit que ces technologies doivent être au service des patients, de la relation avec les soignants et que le lien thérapeutique peut se développer et se maintenir par différentes approches, qu’elles soient de nature numérique ou en face à face. Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas mettre en opposition l’utilisation de l’Internet santé et les consultations en clinique. Elles peuvent être complémentaires, si tous les acteurs font preuve d’ouverture.

Enfin, un travail d’éducation en termes de littératies en santé et numérique doit être entrepris de manière concertée et structurée par les autorités concernées. Il est important de ne pas négliger de mieux outiller les patients et la population générale, mais aussi les soignants, à la recherche d’information santé sur le web, une porte d’entrée de premier plan et encore très fréquentée par tous les acteurs de la santé numérique.

Sources et références :
(1) Inforoute Santé Canada https://www.infoway-inforoute.ca/fr/ce-que-nous-faisons/la-sante-numerique-et-vous/qu-est-ce-que-la-sante-numerique, Page consultée le 23 juin 2017
Malvey, D. et Slovensky, J. «The Possible Future of mHealth : Likely Trends and Speculation», mHealth, Springer, 2014, p. 187-208.
Martinez, F. (2012). Developing a full-cycle mHealth strategy. Frontiers of Health Services Management, 29(2), 11-20.
Ordre National des Médecins. Conseil national de l’Ordre. Santé connectée. De la e-santé à la santé connectée. Le Livre Blanc du Conseil national de l’Ordre des médecins, France, 2015.
La santé à l’ère du numérique et les nouveaux rôles du patient

Juin 01, 2017