Jasmine Abdulcadir, réparatrice de clitoris

 

Jasmine Abdulcadir, gynécologue, est à la tête du premier service d'accueil pour victimes de mutilations génitales féminines à Genève. Ici, lors d'une conférence sur internet, elle tient dans sa main la reproduction d'un clitoris.

Jasmine Abdulcadir, gynécologue, est à la tête du premier service d’accueil pour victimes de mutilations génitales féminines à Genève. Ici, lors d’une conférence sur internet, elle tient dans sa main la reproduction d’un clitoris.
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Jasmine Abdulcadir, gynécologue, est à la tête du premier service d'accueil pour victimes de mutilations génitales féminines à Genève. Ici, lors d'une conférence sur internet, elle tient dans sa main la reproduction d'un clitoris.
Jasmine Abdulcadir dirige un centre d'accueil pour les victimes de mutilations génitales féminines, aux Hôpitaux universitaires de Genève.

De mère calabraise et de père somalien, tous deux gynécologues, Jasmine Abdulcadir a ouvert à Genève la première consultation pour les femmes ayant subi des mutilations génitales. La doctoresse et son équipe y accueillent en moyenne 25 femmes par mois.

Il y a comme ça dans la vie des jours inoubliables. Pour elle, c’est le 9 novembre 2018. L’ambassadeur d’Italie en Suisse l’a élevée au grade de chevalier de l’Ordre du mérite de la République italienne pour son engagement en faveur des femmes avec mutilations génitales féminines (MGF). Jasmine Abdulcadir, médecin gynécologue-obstétricienne, a ouvert en 2010 aux HUG une consultation spécialisée dans la prise en charge de ces patientes.

Le 6 février 2015, journée internationale de la tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales, elle a fait une présentation à l’ONU. L’ambassadeur, présent dans la salle, a été impressionné par l’intervention de sa jeune compatriote. Trop jeune d’ailleurs. En Italie, il faut avoir au moins 35 ans pour être distinguée. Trois ans plus tard, elle a pu enfin l’être.

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On the International Day of Zero Tolerance for FGM, watch Dr. Jasmine Abdulcadir share her story and the tremendous work that she does to debunk misconceptions & taboos @Hopitaux_unige.https://bit.ly/2TL52kl  @UNGeneva @Geneve_int

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Ses parents, qui vivent à Florence, ont bien entendu fait le déplacement. « Sans eux, je n’en serais pas là », dit-elle. Belle et improbable histoire. Abdulcadir, son père, est Somalien, l’aîné de 17 enfants. Né très pauvre et sans âge puisqu’il ne possédait pas d’acte de naissance. « Mais il était intelligent et curieux. Un jour, ma grand-mère a fait une fausse couche hémorragique. Mon père a osé aller chercher le seul gynécologue, un coopérant italien, qui jouait au tennis. Et celui-ci est allé la soigner. »

Une vocation est née. Des années plus tard, Abdulcadir migre en Italie pour apprendre la médecine, fait la plonge dans les restaurants. Il choisit d’aller à Padoue. Mais il y fait trop froid. Il reprend le train et en descendra quand il fera chaud. Ce sera Florence.

J’ai grandi dans un milieu biculturel et bireligieux. On fêtait Noël et l’Aïd, dans la chambre de mes parents il y a la Vierge Marie et le Coran.
Jasmine Abdulcadir

Il y rencontre Lucrezia, une Calabraise aînée de 7 enfants. Dans l’amphithéâtre, une place est libre à côté d’elle. Début d’une histoire d’amour. Dans un premier temps, les parents de Lucrezia, très catholiques, rejettent ce Noir musulman. Mais Lucrezia semble très éprise. On donne une chance à Abdulcadir. Le père de Lucrezia monte à Florence et passe une semaine avec le prétendant pour apprendre à le connaître.

A son retour en Calabre, il convainc l’ensemble de la famille que le jeune homme est fort respectable et méritant. Lucrezia et Abdulcadir se marient. « J’ai grandi dans un milieu biculturel et bireligieux. On fêtait Noël et l’Aïd, dans la chambre de mes parents il y a la Vierge Marie et le Coran », raconte-t-elle.

Pionnière en Suisse romande

Ils achèvent leurs études de médecine. Lucrezia est diplômée en gynécologie et sexologie. Abdulcadir se spécialise aussi en gynécologie. Ils deviennent pionniers en Italie dans le traitement des conséquences de l’excision et leur prévention. La médecine est inscrite dans les gènes de leur fille: elle entame des études, tout comme son frère, aujourd’hui radiologue. Après son Erasmus à Paris, Jasmine fait tout naturellement le choix de la gynécologie. Elle envoie son CV pour poursuivre son cursus à l’étranger.

L’infibulation garantirait une meilleure hygiène parce que le vagin serait moins ouvert, ce qui est faux. Et l’émission d’urine au goutte à goutte chez une femme infibulée serait plus polie, plus féminine.

En 2009, les HUG lui proposent un poste de médecin interne. Elle devait rester six mois. Elle y est encore. Elle est nommée le 1er février 2018 médecin adjoint responsable des urgences gynéco-obstétriques. Grâce à ses chefs de service « très soutenants », dit-elle, Jasmine Abdulcadir peut ouvrir une consultation spécialisée dans les mutilations génitales. Une première en Suisse romande. Sa grand-mère et plusieurs de ses tantes ont été infibulées (fermeture des organes génitaux externes par la jonction des lèvres après une éventuelle excision des lèvres et/ou du clitoris).

©excisionparlonsen

A la consultation MGF des HUG (Hôpitaux universitaires de Genève,ndlr), elle accueille en moyenne 25 femmes par mois, essentiellement d’origines érythréenne, éthiopienne, somalienne, soudanaise, guinéenne et malienne. « Une violation des droits humains et de ceux de l’enfant », insiste-t-elle. Elle poursuit: « C’est une pratique culturelle, pas religieuse, qui existe chez les musulmanes, les chrétiennes et animistes. La femme excisée ou infibulée serait plus calme, plus respectable, moins frivole, plus précieuse. Des croyances laissent parfois entendre que le clitoris non excisé pourrait grandir et devenir comme un pénis, ou pourrait blesser l’homme pendant les rapports. L’infibulation garantirait une meilleure hygiène parce que le vagin serait moins ouvert, ce qui est faux. Et l’émission d’urine au goutte à goutte chez une femme infibulée serait plus polie, plus féminine. »

Contre les mutilations, l’éducation

Avec son équipe, Jasmine Abdulcadir mise sur l’éducation afin d’éradiquer les mutilations génitales dangereuses pour la santé de la femme (douleurs, infections, problèmes sexuels et obstétricaux, souffrances psychologiques). Elle tente de déconstruire les fausses croyances liées à ces mœurs, propose une prise en charge pluridisciplinaire, incluant ou non la chirurgie (désinfibulation, reconstruction du clitoris).

Lorsque ma mère et ses sœurs avaient leurs règles, ma grand-mère leur interdisait de toucher les bouteilles de sauce tomate parce qu’elles risquaient d’exploser. Ces croyances existent encore.

Dans nos sociétés, mais également dans plusieurs des trente pays où ces rituels existent, ces mutilations sont interdites. Qu’en est-il lorsque les petites filles accompagnent leurs parents de retour au pays pour les vacances? « Nous privilégions le contact avec les pédiatres qui, dans le cadre de leurs consultations, peuvent continuer l’éducation et le suivi, et, en cas de risque immédiat, de faire d’éventuels signalements. » Ce que Jasmine Abdulcadir appelle des mythes ne serait pas l’exclusivité de pays lointains et pauvres: « Lorsque ma mère et ses sœurs avaient leurs règles, ma grand-mère leur interdisait de toucher les bouteilles de sauce tomate parce qu’elles risquaient d’exploser. Ces croyances existent encore. »

Mutilations génitales féminines, comment y mettre fin ? Par  Camille Romain des Boscs

Victimes d’excision, elles racontent leurs parcours en France

«J’avais dix ans. Je me souviens de chaque détail, je pourrais reproduire chaque geste de l’exciseuse». Le visage masqué par la pénombre, Khady n’a rien oublié. Vingt-cinq ans après, elle raconte la peur,

l’occasion de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines, Camille Romain des Boscs, directrice de Vision du Monde, réaffirme l’engagement de l’ONG pour la défense des droits fondamentaux des jeunes filles et des femmes.

Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé, on estime à plus de 200 millions le nombre de jeunes filles et de femmes, toujours en vie, qui ont été victimes de mutilations génitales. Ce chiffre met en évidence la violation des droits de l’enfant qui persiste encore partout dans le monde.

Les mutilations génitales féminines (MGF) sont aujourd’hui essentiellement concentrées dans trente pays d’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie. On considère toute intervention qui altère ou lèse intentionnellement les organes génitaux externes de la femme, pour des raisons non médicales, comme une MGF. Cela concerne la plupart du temps des jeunes filles entre l’enfance et l’âge de 15 ans. L’excision est la forme la plus répandue de MGF. Ces dernières sont réparties en quatre catégories. La clitoridectomie: ablation partielle ou totale du clitoris. L’excision: ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres et parfois des grandes lèvres. L’infibulation: rétrécissement de l’orifice vaginal en suturant ou en passant un anneau à travers les petites lèvres de la vulve. Une désinfibulation est généralement pratiquée avant le mariage. Les autres interventions: toutes les autres interventions néfastes au niveau des organes génitaux féminins à des fins non médicales.

Lames de rasoir et ciseaux

D’après les estimations, 90% des MGF sont des clitoridectomies ou des excisions, et près de 10 % des infibulations, cette dernière étant la forme entraînant les conséquences les plus graves. Les MGF ne présentent aucun avantage pour la santé. Au contraire, elles endommagent les tissus des organes génitaux et entravent le fonctionnement naturel de l’organisme féminin. De plus, les MGF sont très peu pratiquées par des professionnels de santé. Le plus souvent, les exciseuses traditionnelles utilisent des lames de rasoirs et des ciseaux sans anesthésiques. Cette pratique provoque un risque d’infection élevé et de nombreux risques obstétricaux.

Les MGF vont à l’encontre du droit à la santé, à la sécurité et à l’intégrité physique, du droit d’être protégé contre la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du droit à la vie lorsque celles-ci ont des conséquences mortelles. Reconnue comme véritable violation des droits de l’enfant, les Nations unies appellent depuis 2012 à intensifier les efforts mondiaux pour mettre fin à cette pratique.

«Les MGF sont souvent considérées comme une condition nécessaire à la bonne éducation d’une jeune fille en vue de son passage à l’âge adulte et de son mariage»

Vision du Monde travaille au quotidien pour éliminer les MGF. Membre du réseau international World Vision, première ONG de parrainage d’enfants au monde, l’association œuvre dans de nombreux pays pour que chaque enfant puisse grandir dignement parmi les siens. Vision du Monde protège les enfants les plus vulnérables à travers des programmes de développement d’une quinzaine d’années en travaillant main dans la main avec les communautés locales. L’association intervient conjointement dans les domaines de l’accès à l’eau potable, l’alimentation, l’éducation et la santé. Son approche est basée sur le transfert de compétences pour permettre l’autonomie des communautés. À Baoulé, au Mali, Vision du Monde a mis en place de nombreux ateliers de sensibilisation, au sujet des risques que représentent les MGF, auprès des enfants, des jeunes adultes, des chefs communautaires et des enseignants d’école primaire. À Koodugu, en 2017, ce sont plus de 18 communautés maliennes qui ont été sensibilisées aux conséquences désastreuses des MGF sur la santé des jeunes femmes. Au Sénégal, les équipes de Vision du Monde agissent à Dabo dans la région de Kolda, où la quasi-totalité des filles et des femmes en sont encore victimes.

Au sein de nombreuses communautés, les MGF constituent une tradition culturelle importante qui ne doit en aucun cas être remise en cause, ni abandonnée. Il existe une réelle pression sociale qui incite à se conformer aux attentes d’une communauté. Les MGF sont souvent considérées comme une condition nécessaire à la bonne éducation d’une jeune fille en vue de son passage à l’âge adulte et de son mariage. Selon les croyances, cette pratique diminuerait le désir sexuel des femmes et préserverait donc la virginité. Certaines personnes associent les MGF à une idée de propreté hygiénique, esthétique et morale.

L’approche communautaire de Vision du Monde et le travail avec les équipes locales sont des facteurs de réussites clés dans l’accompagnement des populations vers l’abandon de la pratique des MGF. Dans les pays dans lesquels Vision du Monde intervient, les exciseuses sont formées à de nouvelles activités génératrices de revenus, afin de leur faire abandonner ces pratiques ancestrales si dévastatrices pour la santé des jeunes filles. L’association implique dans son travail de sensibilisation les grands-mères, exerçant une réelle influence auprès de leurs petites-filles, et parvient ainsi à faire reculer le nombre de MGF de façon durable. Une pratique qui n’est donc pas inéluctable.